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Le poeme de Lorenzaccio
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Le poeme de Lorenzaccio

La garde de nuit (rĂ©parer ceux) 📖

 

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Prologue

 

Quand le dragon vole.

 

Long soir d’étĂ©. 

Un dragon insomniaque, dĂ©terminĂ©, dĂ©tonnant et oblong, escarboucle lumineuse au front, escalade en flammes rouges et vertes l’à-pic de mon jardin d’étoiles avant de se jeter Ă  l’assaut du fleuve.

Tournesol guerrier saignĂ© au flanc, il tourne ses pĂ©tales au son doux et veloutĂ© d’un elfe recrachant sottement sa soupe de lamier blanc.

LĂ -haut, il dĂ©coupe de ses pales la voie lactĂ©e. Elle retombe en goutte-Ă -goutte d’étoiles filantes dans les veines de l’ĂȘtre qu’il porte au ventre, bien loin du sol, au delĂ  de la forĂȘt des ombres.

Cette Ăąme pĂąle et souffrante, heurtĂ©e et paralysĂ©e comme cette lune d’étĂ©, il l’a gobĂ©e sur la plaine, au milieu des tĂŽles froissĂ©es. Il la rĂ©gurgitera bientĂŽt sur l’esplanade ronde de la Tour des miracles.

Ici, l’air du soir, à nouveau calme, se recouche. La Garde veillera d’un Ɠil intranquille sur le silence des remparts de ma nuit.

Au cƓur de mes rĂȘves, un Ă©cran s’embrase de bleu et alors monte l’alerte


 

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Premier Acte : la pierre

 

La Tour

 

Informe architecturale, elle trÎne tel une diva sous sa peau criblée par le vitriol des ans. Neuf bourrelets de souffrance seyant sur un fondement au sous-sol tremblant.

Dans ses entrailles grises ou colorĂ©es, presque dĂ©samiantĂ©es, des trachĂ©es artĂšres pompent de leurs plĂšvres encrassĂ©es cet air retraitĂ©, qu’elles exsufflent par leurs gueules grillagĂ©es.

Des veines translucides ramĂšnent, par pulsations rythmĂ©es, les capsules de sang Ă©tiquetĂ©es vers le cƓur du laboratoire de la mĂ©ga citĂ©.

Des barges, poussées par des cygnes bleus, portent les malades et glissent au flux péristaltique des canaux hospitaliers. A la poupe, des gondoliers asservis les guident hypnotisés par leur tablette connectée.

Sur les berges escarpĂ©es, on observe la ronde perpĂ©tuelle des spectres d’humanitĂ© - rose morose, verte de rage, blanche de saignĂ©e - qui filent au rythme des machines Ă  pointer. Âmes garrotĂ©es puis vidĂ©es de leur vocation, encloĂźtrĂ©es entre leur vƓu d’HospitalitĂ© et la boulimie de la bĂȘte Ă  rentabilitĂ©.

Pourtant, aux parois de ses boyaux sombres, on voit encore flamboyer quelques  torches de gĂ©nĂ©rositĂ©. En ombres chinoises, donneurs et greffĂ©s, main dans la main, Ă©changent leurs amitiĂ©s, dans une derniĂšre valse de fraternitĂ©.

Ainsi, sous les emblĂšmes d’Eros et Thanatos rĂ©unis, la Tour domine tout : ses saigneurs et ses serfs, ses remparts et ses tourelles. De Planoise en contrebas, toute une volĂ©e de passerelles rampe sur son pas.

Les cheminĂ©es d’évacuation et les feux sentinelles fument au toit. Aux alentours, les odeurs de chair humaine se mĂȘlent Ă  celles du bois.

Et au crĂ©puscule, le vol immobile d’une crĂ©cerelle sonne le glas.

 

la Tour

 

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Princes du sang

 

A la table ronde des conciliabules pluridisciplinaires, sous leurs armoiries colorĂ©es de bistouris ou de cathĂ©ters, les saigneurs s’affrontent en joutes orales passionnĂ©es, dĂ©fendent leur maison puis transigent avant d‘emmener leur ost Ă  la bataille.

--- Leurs campagnes : rebĂątir les canaux vasculaires, lutter contre l’extravasation et dĂ©gorger les plaines inondĂ©es ; Ă©ventrer les barrages ischĂ©miques, libĂ©rer le flux artĂ©riel des fleuves et irriguer les aires cĂ©rĂ©brales assĂ©chĂ©es.

--- Leurs gloires : ligaturer les vouivres anĂ©vrysmales, sauver les noyĂ©s des lacs sanguinaires, dĂ©capiter les hydres artĂ©rio-veineuses, Ă©touffer les guivres fistuleuses.

--- Leur Sainte Mission: prĂ©server nos corps de l’hĂ©morragie en refondant le calice vasculaire.

--- Leur Saint Graal : vaincre la Maladie, sans verser le sang des blessĂ©s ou des morts.

 

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Ici, je suis.

 

Ici, je suis chevalier Hospitalier, moine soldat, mercenaire, vassal, dans l’allĂ©geance Ă  la Tour.

Ici, je sais Ă©crire, trancher et recoudre, publier les bans, convoquer l’ost, mener mes troupes, faire fructifier mon fief, et par dessus tout, offrir ma vie au champ de bataille hospitalier.

Ici, je porte encore l’exhaustion de ces annĂ©es de combats larvĂ©s pour une victoire acĂ©rĂ©e sur les terres d’un prince noir. Perfidement adoubĂ© chevalier puis homme-lige. Dans l’Immixtio manuum, vassal aux mains choyĂ©es. In fine, fĂ©al aux doigts broyĂ©s, dĂ©savouĂ© sous le miroir brisĂ©, emprisonnĂ© dans le vertige des arcanes d’une autre Tour.

L’honneur en Ă©tendard et l’exil pour seule survie, je m’exfiltrai in extremis.

Ici, je suis le chevalier errant, vainqueur infĂ©odĂ© venu du Nord, et personne n’imagine le trĂ©sor d’énergie vitale dont il m’avait dĂ©jĂ  patiemment spoliĂ©.

 

battleriver

  


 

 Chaque matin

 

Les soleils scialytiques chassent les lunes des nĂ©ons. La faune ouvriĂšre sort de sa taniĂšre, se faufile et s’active dans les sentes bordĂ©es de bosquets de chariots et de matĂ©riel. C’est l’heure oĂč les grands fauves chirurgiens font leurs ablutions au creux des cascades d’asepsie.

Chaque jour pourrait ĂȘtre un jour de printemps. Et nos mains heureuses d’enfant joueur, dans la clairiĂšre des salles opĂ©ratoires, feraient voler des papillons en papier d’emballage stĂ©rile.

Mais il faut bien passer Ă  l’acte. Rentrer dans le vif du sujet. Et la matiĂšre pensante de nos cerveaux, par ces mains prolongĂ©e, ouvre et rĂ©pare les corps de nos frĂšres allongĂ©s.

 


 

Artisan de l’humain (ÎœÎ”áżŠÏÎżÎœ χΔÎčρ ÎżÏ…ÏÎłÎŻÎ± - neuro-chir-urgien)

 

Mains fermes de forgerons, elles frappent et soudent le titane aux colonnes Ă©croulĂ©es. Mains calleuses de menuisier, elles chevillent et vissent l’os des nuques brisĂ©es. Mains appliquĂ©es de tuyauteur, elles dĂ©tectent et calfatent les fuites de liquide mĂ©ningĂ©. Mains blanches de mosaĂŻste, elles rĂ©assemblent les puzzles de crĂąnes Ă©parpillĂ©s.

Mains agiles de poissonnier,elles ligaturent et sectionnent les tentacules des hydres vasculaires. Mains fĂ©roces de volailler, elles saisissent et Ă©tranglent au colles crĂȘtes anĂ©vrysmales. Mains tranchantes d’équarisseur, elles excisent et ficellent les chefs aux chairs scalpĂ©es. Mains rouges de boucher, elles taillent et s’essuient au bleu des tabliers.

Mains savantes de puisatier, elles forent et drainent le fluide des nappes sous-crĂąniennes. Mains vigiles d’aiguadier, elles dĂ©rivent et assĂšchent les marais sanguinaires. Mains crĂ©atrices d’architecte, elles dĂ©routent et aqueduquent le cƓur aux hĂ©misphĂšres dĂ©sertĂ©s. Mains bleues de fontainier, elles ponctionnent l’eau de roche Ă  la source des lombes.

Mains tĂȘtues de maraicher, elles cueillent des mĂ©ningiomes gros comme des oranges. Mains soigneuses d’horticulteur, elles plantent des Ă©lectrodes aux noyaux gris des cerveaux. Mains cloquĂ©es de cantonnier, elles Ă©largissent et Ă©galisent l’arthrose des canaux rachidiens. Mains vertes de jardinier, elles Ă©laguent ou arrachent des ramĂ©es de gliomes cancĂ©reux.

Mains douces de coiffeuse, elles peignent et rasent les cheveux horripilĂ©s. Mains patientes de couturiĂšre, elles dĂ©coupent et rapiĂšcent les mĂ©ninges dĂ©chirĂ©es. Mains ciseleuses de joailliĂšre, elles attachent des colliers de veines au cou des artĂšres. Mains mauves de lavandiĂšres, elles lavent et rincent sous les scialytiques les tĂȘtes de leurs victimes.

Mains charcutiĂšres au ventre de la bĂȘte humaine.

Mains ouvriĂšres dans les rouages de la machine hospitaliĂšre.

Mains téméraires aux tréfonds de la Tour.

  


 

L’apprenti sourcier 

 

Deux ĂȘtres tremblants, chacun dans leur tranchĂ©e, de chaque cĂŽtĂ© du lit de la riviĂšre blanche qui les sĂ©pare. Face tournĂ©e au sol, le patient courbe l’échine, se recroqueville en mordant son coussin de misĂšre. L’apprenti sourcier, lui, officie nerveusement et calcule sa trajectoire, mĂ©ticuleusement.

Une bise glaciale s’abat alors sur la plaine des reins. Tressaillement dans les rangs, au premier bataillon antiseptique. Un drapeau bleu perforĂ© a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©. Au centre, on aperçoit une clairiĂšre, rose comme un champ de bataille. Cercle d’effroi dans les lombes qui dĂ©limite la cible. Raidissement, au deuxiĂšme bataillon antiseptique.

Palpation appuyĂ©e d’une phalange, humide sous les gants, qui fouille profondĂ©ment les ligaments. On Ă©numĂšre les Ă©pineuses questions. OĂč est la moelle Ă©piniĂšre ? OĂč trouver la voie ? OĂč crĂ©er la brĂšche ?

Puis, l’alerte d’une attaque par le ciel et la peur sur les deux fronts. DerriĂšre celui du patient, sonnent les clairons de son instinct de survie. Se rĂ©fugier dans les galeries de son courage. Se boucher les oreilles. Fermer les yeux. Serrer les dents. Crisper les poings. Et attendre


Le bĂąton aiguisĂ© et brillant de l’apprenti sourcier tremble, tremble, tremble sous la lune pĂąle. Il lui indique le chemin de la source. Soudain dans le bas du dos de son patient, comme la trace stridente et acĂ©rĂ©e d’une flĂšche brĂ»lante. Spasme des muscles paravertĂ©braux suivi d’un fin craquement d’outre.

Ses yeux s’éclairent alors. Son cƓur ralentit. Entre ses doigts, la joie fleurit. Dans les mains du nouveau sourcier, l’eau de roche jaillit, pure. De l’autre cĂŽtĂ© du champ de bataille, on attend encore inquiet l’annonce du cessez-le-feu par l’arrachement de terre de l’étendard de la victoire.

Dernier trismus.

Enfin, on pansera la fine plaie du blessé.

 

Peridurale

 


 

Le chĂȘne sacrĂ©

 

Elle est là, qui attend tremblante, comme la frondaison sous le vent mauvais, à l’heure du rendez-vous d’annonce.

Elle est lĂ , qui angoisse au creux de ses cernes pour son Homme Ă  l’écorce du crĂąne scarifiĂ©e. Elle pressent le Mal qui lui mange la cervelle, comme la vermine dans l’aubier.

Lui, le grand abatteur d’arbres, autrefois libre comme la forĂȘt comtoise, autrefois puissant comme le chĂȘne millĂ©naire, et Ă  prĂ©sent, posĂ© las, Ă  son tour, branche ballante, racines instables, fibres cĂ©rĂ©brales entaillĂ©es, dans ce corps qui penche et menace, comme un arbre vermoulu, sous la cognĂ©e du cancer cĂ©rĂ©bral.

Elle est lĂ , qui s’effondre au coup vil assĂ©nĂ© par le coin de la sentence diagnostique: glioblastome, la gale du cerveau qui poussera son Homme au chablis. Condamnation Ă  perpĂ©tuitĂ©.

Elle est là, qui pleure à nouveau la sÚve amÚre, infiltrée dans ses veines depuis la mort du petit, noyé durant trente trois lunes. Autre cher de sa chair, tombé et rongé avant elle.

Dans le dĂ©sespoir, je serre son bois de cƓur, tendre et sombre, dans ma main, et nous buvons sa douleur Ă  l’ombre du grand chĂȘne.

chene

 


 

Sur le fil

 

Encore une journĂ©e qui s‘achĂšve, dans le bonheur masochiste de ne pas avoir encore touchĂ©un seul instant le sol.

Imprudent funambule que je suis, en Ă©quilibre, toujours instable, sur le fil Ă  couper le bord de ma vie tendue au travers du gouffre hospitalier.

Encore une journĂ©e qui m‘achĂšve.

 


 

DeuxiĂšme Acte : le sang

 

La grande salle de Garde

 

Aux trĂ©fonds de la Tour, de grandes portes automatiques se lĂšvent sur la grande salle de Garde, oĂč rĂšgne un chaos de rue mĂ©diĂ©vale.

 

Les sonneries et les alarmes hurlent à l’unisson.

On crache, on vomit, on s’évacue dans les Ă©cuelles.

Des relents de sueur et d’urine flottent dans les airs.

On pique, on draine, on coud au travers des peaux.

Les malades et les guérisseurs circulent cÎtes à cÎtes.

On piétine, on traine, on court dans les couloirs.

Des attroupements se font et se défont de place en place.

On se tient, on se lĂąche, on s’égare dans le tumulte.

Injonctions et invectives se répondent de proche en proche.

On piaille, on caquĂšte, on aboie au milieu de la foule.

Paroles et insultes se défient de porte en porte.

On s’étreint, on angoisse, on geint dans le cauchemar.

Les brancards et les chariots se percutent dans les allées.

On s’allonge, on dormaille, on se tord sur les banquettes.

Des corps blessés ou morts fuient sous des draps blancs.

On soigne, on miracule, on cataplasme Ă  pleines mains,

La vie et la mort se toisent sans cesse sans sourciller.

On joue, on gagne, on se perd au jeu du hasard.

Le temps et le sang s’écoulent au goutte-Ă -goutte.

 

Ici, c’est l’Enfer, jour aprĂšs jour, depuis qu’Ils ont coupĂ© des ailes dans les hauteurs de la Tour.

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Les douves de la nuit

 

Aux heures les plus sombres de la route, les douves profondes de la nuit aspirent, dans leurs jabots bĂ©ants, les esprits enivrĂ©s de libertĂ©, pour les empaler Ă  plein poitrail au cƓur de leur jeunesse.

Fin de soirée arrosée de sang dans le fossé. Carrosse, vitres et ùmes pulvérisées, dispersées, presque encore chaudes sur leur bas cÎté quand les cavaleries vermeil, azur puis albùtre ont encerclé la place.

Autour de la Drop Zone improvisĂ©e sur la plaine, des banniĂšres jaunes fluorescentes  flottent Ă  la croisĂ©e des chemins. Au camp, des flambeaux bleus tournent sur eux mĂȘmes, comme plantĂ©s dans la pĂ©nombre. Le siĂšge a dĂ©jĂ  commencĂ©.

Freinage, trajectoire, impact : toutes traces flashĂ©es, gravĂ©es aux registres de l’accidentologie. Au dehors de la carcasse : deux transis Ă  emballer, embaumer, puis archiver Ă  la rubrique nĂ©crologie.

Au dedans, reste un prĂ©cieux trĂ©sor de chair toujours saignante, amalgamĂ©e aux tĂŽles froissĂ©es, incarcĂ©rĂ©e Ă  la geĂŽle d’acier, dont la cisaille pneumatique des sapeurs brisera d’un coup sec la mĂąchoire.

Des traits d’argent lancĂ©s Ă  travers l’aube transpercent le gisant : exsufflation au thorax enflĂ©; sĂ©dation lactĂ©e aux veines bleutĂ©es ; eau cristalloĂŻde aux artĂšres assoiffĂ©es ; intubation armĂ©e au fond de la trachĂ©e ; insufflation Ă©thĂ©rĂ©e aux bronches rosĂ©es.

Les ailes du dragon, poussĂ©es Ă  leur pleine puissance, massent l’air et son poitrail au rythme d’un Ă©lectrocardiogramme. Le corps, pour un instant ressuscitĂ©, arrimĂ© Ă  sa vie, s’élĂšve sous le regard Ă©mu des soldats puis se sublime en direction du fleuve.

 

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La chrysalide rouge

 

Amarrée par son extrémité céphalique à la tubule du respirateur, elle est là qui flotte, paisible, sur le lit blanc de sa riviÚre.

PosĂ©e entre deux eaux. EngluĂ©e. RĂ©gurgitĂ©e au pied de la Tour par le grand dragon, elle attend maintenant que l’on prenne soin d’elle.

Au travers de sa coquille de sĂ©curitĂ© rouge, seules les Ă©lectrodes reliĂ©es au scope nous prouvent qu’elle est encore vivante - Ă  l’intĂ©rieur.

Pourtant, Ă  l’écran scanner, certains de ses organes sont dĂ©jĂ  liquĂ©fiĂ©s, sa colonne et son crĂąne morcelĂ©s.

Sous ses enveloppes, au sein du magma de chairs, la mĂ©tamorphose est dĂ©jĂ  enclenchĂ©e. Mais subitement, les capteurs affolĂ©s nous rĂ©vĂšlent qu’elle se vide et s’épuise. En urgence, Ă©ventrer sa capsule pour la libĂ©rer.

Mettre à nu son organisme. Inciser. Parer, réparer, suturer, écoper les épanchements, calfater les fuites puis le remplir à nouveau pour stabiliser son fluide vital.

A partir de cette matrice originelle opĂ©rer sa transformation, afin qu’elle puisse renaĂźtre, Autre, Ă  elle-mĂȘme.

A jamais Autre.

 

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Mauvais sang

 

Le vil pressentiment que cette nuit sera la plus interminable de mes nuits de solitude. 

Mes anges noires s’amusent et rĂ©tractent leurs ailes sous mes pieds nus - catapultĂ© au fossĂ©.

Le flot de bile bouillante, crachée des mùchicoulis de ma déraison, grimpe et lÚche déjà mes chevilles.

Panique dans les douves de la Consomption sous le cautÚre ascendant de la néantisation.

Sur la crĂȘte de houle noire, irisĂ©e de lune, le raptus repoussĂ© par miracle.

La Garde de nuit bienveille sur moi.

 


 

Ma route de forĂȘt

 

Dans le sommeil. Une sentinelle sous la lune compose le tocsin.

Dans le noir. Emerger et écouter. Télé-imaginer et diagnostiquer. Réfléchir et réagir.

Dans la lumiÚre. Résurrection. Ablution gelée. Caféine au ventre. Adrénaline aux veines. Propulsion sous le pied.

Dans le noir. Je m’envole Ă  toute encolure. Je m’efforce Ă  ne pas penser que le pire reste Ă  venir. Au travers de ma route de forĂȘt, il fait noir, tellement noir. TrĂšs loin devant, une fleur panneau routiĂšre m’éblouit le chemin. Puis une centrifugeuse bleue tente de me dĂ©pouiller de la vue. Deux stupeurs phosphorescentes dans les bosquets vampirisent ma vigilance. La stimulation lumineuse intermittente des arbres convulse ma concentration. Par la fenĂȘtre ouverte, la bise glacĂ©e gifle tous mes endormissements. Je serre les sapins, le mors et la bride de mon attelage jusqu’aux Hauts-du-Chazal.

Dans la lumiĂšre. Survivant, je dĂ©vale la passerelle qui mĂšne aux portes de la Tour oĂč j’accomplirai ma vocation de chevalier Hospitalier.

 

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L’hydre du lac

 

Au fin fond de ma nuit - une autre nuit - dans le rĂȘve, dans le noir, un Ă©cran vibraphone.

LĂ -bas, une jeune femme tend la main, sombre, et se noie, dans son lac rouge sang. L’hydre qui l’aspire, patiemment, par le fond, nous attend, lovĂ©e dans son lacis d’artĂšres et de veines, prĂȘte Ă  rejaillir en cascade vasculaire. Rupture.

Traverser Ă  nouveau ma route de forĂȘt, rejoindre un autre lit, celui de sa riviĂšre blanche.

Aux Ă©crans scanners, chercher la faille. Dans l’arbre vasculaire opacifiĂ©, reconstruire son espace. TroisiĂšme dimension. Chercher sans relĂąche et trouver, dans ses branches d’artĂšres et de veines, la trouĂ©e d’étoile. Un passage.

Puis sous les pleines lunes du bloc opĂ©ratoire, lever un scalpel Ă©tincelant comme un glaive pour faire reculer la bĂȘte immonde.

Aux moteurs Ă©lectriques forer puis fendre l’ivoire de son crĂąne. Rompre le barrage. Faire s’écouler le Mal. CautĂ©riser, ligaturer, sectionner, une Ă  une, les tentacules afin qu’elles ne repoussent pas. Enfin, rĂ©sĂ©quer la tĂȘte de la pieuvre. ExĂ©rĂšse.

A l’intĂ©rieur de ce cerveau, affronter mes propres tĂ©nĂšbres magnifiĂ©es par le microscope, jusqu’à la prochaine aube.

Au petit matin Ă©puisĂ©, prĂšs du lac assĂ©chĂ©, recueillir cette chevelure d’or et la rincer doucement aux rayons des soleils scialytiques.

 

 

hydre

 


 

Quatre pour une

 

Nuit du Soleil, une vie sauvée.

Jour de la Lune, une vie sauvée.

Nuit de Mercure, deux vies sauvées.

Et moi, pĂąle Ă©toile filante, qui me sauvera ?

 


 

Equinoxe d’automne

 

Un ovate fit brûler une face de bouc toute la nuit.

Au matin, portĂ©e par la fumĂ©e indigo, Jeanne m’est rĂ©apparue au bord du lac de notre adolescence oĂč je l’avais tant attendue.

Nous Ă©tions tous deux rĂ©fugiĂ©s sur la rive, fuyant l’effondrement de l’hymĂ©nĂ©e Ă  mĂȘme la muraille du Temps.

EnvolĂ©s sur mes sept chevaux blancs, nous avons retraversĂ© la forĂȘt de nos Ăąmes. Dans la clairiĂšre, prĂšs de la source du poĂšte, nous avons renouĂ© nos racines et nos ombrages, couchĂ©s parmi les feuilles sanguines.

Puis, à mon tour, je nous ai abandonnés.

 


 

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Ma crécerelle

 

Je l’ai espĂ©rĂ©e, transi, tout l’hiver, au dessus des parcages blanchis oĂč elle aimait voler, stationnaire, deux faucilles sombres, vibrionantes, dĂ©coupant les planĂ©s.

Je l’ai attendue, frissonnant, tout le printemps, au dessus de la plaine fleurie oĂč elle aimait chasser, sanguinaire, deux touffes rouges agglutinĂ©es au jaune de ses serres. 

Je l’ai cherchĂ©e, brĂ»lant, tout l’étĂ©, au dessus des poteaux dessĂ©chĂ©s oĂč elle aimait guetter, mercenaire, deux larmes de rimmel essuyĂ©es au revers de ses joues.

Je l’ai ensuite rĂȘvĂ©e, consumĂ©, tout le reste de l’annĂ©e, au dessus des nuages blancs puis gris oĂč elle aimait s’enivrer, solitaire, deux diamants noirs sertis d’or brouillĂ©s d’éther.

Mais, je n’ai plus jamais entendu son cri bleutĂ©, crochu et querelleur.

J’ai alors escaladĂ©, par dĂ©pit, tout en haut de la tourelle chrysocale oĂč je savais son nid tĂ©mĂ©raire, et lĂ , dans une flaque craquelĂ©e et brunie, cette vision d’horreur : deux Ă©chiquiers de plumes renversĂ©s !

C’est ainsi que les griffes du malheur fondirent sur la Tour de ceux qui lui avaient coupĂ© les ailes.

 


 

  

TroisiĂšme Acte : La glace

 

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Le jour polaire

 

Chaque annĂ©e, par l’Est barbare, vient ce terrible hiver qui rĂ©tracte les jours d’effroi. Le gel, qui saisit alors la plaine, s’arcboute au travers du fleuve et laisse la nuit hunnique prendre possession du monde du dehors.

Pour tous ceux qui vivent ici, pendant ces longs mois de froid, le temps se fige. On en oublie mĂȘme jusqu’aux couleurs sensibles du jour. Dans l’enceinte de la Tour, au pĂŽle de chirurgie, rien ne se couche jamais : ni les soleils scialytiques des blocs, ni les lunes Ă©pileptiques des nĂ©ons, ni les blessĂ©s, ni les soldats. Et que ce soit Ă  l’aube ou au crĂ©puscule, ceux qui renouent avec l’air extĂ©rieur replongent irrĂ©mĂ©diablement dans la nuit noire.

Tel un immense glacier insomniaque, la grande garde septentrionale incorpore tout ce qui frémit. A son bord, on calorifuge par poignées généreuses et en couches épaisses, de son temps, de ses soins, de son humanité, les corps alités et affaiblis pour soutenir leur homéostasie.

De temps Ă  autre, l’un d’entre nous, bien heureux, verra le hĂ©raut d’armes lever dans les pupilles noires d’un survivant ses armoiries colorĂ©es, comme dans le ciel nocturne un envol d’aurores borĂ©ales.


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Les tisserands

 

Ici, au cƓur de la Tour, nous sommes soigneurs, soigneuses au continu Ă  filer. 

Aux fils de nos ordinateurs, au fil blanc du lit de leurs riviĂšres, aux files d’attente impatientes, au fil de nos canaux brancardiers, aux files angoissĂ©es et patientes, au fil des perfusions d’éther, au fil des lames argentĂ©es, aux fils des chairs allongĂ©es, au fil des dĂ©cisions vitales, aux fils des pinces Ă  cautĂ©riser, au fil des gestes salvateurs, aux fils Ă  suturer les corps, au fil des conversations triviales, au fil de perles d’humanitĂ©, aux fils de soie du sacerdoce, aux fils de ceux qui nous dandinent, au fil de nos vies qui aussi filent, nos corps et nos Ăąmes s’effilochent au grĂ© de la navette du quotidien circulant sans trĂȘve entre nos mains ouvrieuses.

Et nous dévidons nos fuseaux de vie sur nos métiers à retisser la vie des autres.

  


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Solstice d’hiver

 

Prisonnier du froid polaire, perdu sans ailes, mon esprit tourne en rond sur son traineau de solitude au cercle de l’absente. 

OĂč est-elle ? Que fait-elle ? OĂč s’envole-t-elle ? Qui convoite-t-elle ? A quoi convole-t-elle ?

Sous ma calotte crĂąnienne, je creuse dans la glace le souvenir de Jeanne en mille galeries de miroirs bleuis oĂč son sourire continuera de fleurir et ses fous rires de rebondir, Ă  l’infini.

 



Jolis maux

 

LĂąchĂ© de ballon 

Pityriasis versicolore

Odeur de pomme verte

Macula rouge cerise

Langue framboisée

Nodules cotonneux

Cellules en bouquet

Marguerite porte intubation

Tumeur en aile de papillons

Doigt en col de cygne

Yeux en coucher de soleil

Angiomes stellaires

Queue de comĂšte

                              Coup de tonnerre dans un ciel serein

CƓur en carafe

Thorax en carĂšne

CƓur Tako-tsubo

Signe du glaçon

Bruit de pas dans la neige

Fracture en bois vert

Masque de loup

Douleur exquise

Coup de pic Ă  glace

Genoux marbrés

Maladie des os de verre

Membre fantĂŽme

Syndrome de glissement

 


 

Epreintes et ténesme.

 

Vaseline.

Toucher rectal salutaire.

FĂ©calome.

Etreintes et ténÚbres.

 


 

L’enfer du dĂ©cor

 

Anencéphalie.

Trichotillophagie, encĂ©phalite spongiforme, ramollissement cĂ©rĂ©bral, plaie cranio-cĂ©rĂ©brale, mĂ©ningo-ventriculite ; fonte purulente de l’Ɠil, exentĂ©ration orbitaire, aphtose buccale, chicots, phlegmon pĂ©ri-amygdalien, varices Ɠsophagiennes, reflux, vomissements fĂ©caloĂŻdes ; candidose des plis, hĂ©moptysie, pleurĂ©sie, myxome de l’oreillette, panaris, gangrĂšne gazeuse, pemphygoĂŻde bulleuse ; bilharziose, leishmaniose, borborygmes, carcinose pĂ©ritonĂ©ale, diverticulose colique, pĂ©ritonite stercorale, trichobĂ©zoard, Ă©viscĂ©ration, fistule ano-vaginale ; urines paille, Porto, troubles, lactescentes ; selles moulĂ©es, liquides, mastic ou goudron ; diarrhĂ©e glairo-sanguinolente, coprophagie, prolapsus rectal.

Imperforation anale.

Dans le sang, les fùces, la pisse, la sueur. Dans le jus, dans le pus. Les mains dans la bidoche, jusqu’aux coudes.

A s’en rendre malade.

Au ventre de la Tour.

 


 

Ecrasement

 

La meute sauvage, depuis hier, grattait sous ma peau. Vain apprivoisement. 

Elle a relancé sa chasse à courre. Inéluctable hallali.

Crocs luisants Ă  ses babines retroussĂ©es, elle s’amuse maintenant Ă  me broyer sous ses dentines de marbre froid, en me dardant de ses multiples paires d’yeux mauvais, laiteux et rieurs.

 


 

Destin et catharsis

 

Nos destinĂ©es se rĂ©sumeraient-elles Ă  batailler, courir puis mourir sur le fil de la dague du quotidien aussi tranchant qu’un bistouri argentĂ© fouillant dans la chair bleutĂ©e de nos apnĂ©es vocationnelles ? 

Serions nous condamnĂ©s Ă  accepter sans rĂ©sistance nos peines capitales ?

C’est alors que, dans la piĂštre satisfaction de mes inspirations insomniaques, naquit l’espoir insensĂ© que cet Ă©tat de Consomption puisse Ă  son tour faire naĂźtre autre chose. Autre chose qui porte et sublime. Autre chose qui tente de nous sauver.

Et les mains salvatrices déposÚrent les armes pour se mettre à tisser cette oriflamme manuscrite portée par quelques pages impies dévouées à leurs saigneurs.

Epargner la mĂ©moire. 

RĂ©parer les soignants.

 


 

Equinoxe de mars

 

Au sortir de l’hiver, sur la vase amollie du lac fondu, le miracle de Jeanne s’accomplit Ă  nouveau. Elle m’attendait encore, allongĂ©e lĂ  oĂč je l’avais laissĂ©e, patiente comme la lande, blanche et dĂ©shabitĂ©e de moi.

Je l’ai recueillie au creux de mes mains chaudes pour la rĂ©animer, petit Ă  petit, de son hypothermie. Et pour l’arracher Ă  cette longue hibernation dans laquelle je l’avais inconsciemment plongĂ©e, je me suis mis Ă  souffler de tout mon cƓur sur sa peau de cendre bleue.

Elle est resté là, longtemps, sans bouger, recroquevillée, apeurée, les sens aux aguets, comme un animal blessé.

Quand elle a enfin rouvert sur moi ses paupiĂšres ciliĂ©es de givre, j’étais dĂ©jĂ  parti trop loin de moi mĂȘme.

 


 

surge

 

La Surge

 

DĂ©sormais, la mĂ©lancolie du glacier des jours qui passent nous pousse Ă  tombeau ouvert bien au-delĂ  des plaines d’asthĂ©nie.

On charrie nos moraines administratives, renaissant sans cesse des avalanches  arrachĂ©es aux parois abruptes de la course Ă  l’activitĂ©.

On affronte des sĂ©racs chirurgicaux dans une joute sans fin avec la Mort qui achĂšve d’éroder notre volontĂ©.

On creuse nos moulins de stress Ă  la bĂ©diĂšre des surrĂ©nales oĂč nos vocations glissent et finissent par s’abĂźmer.

On sombre aux crevasses de la dĂ©multiplication des tĂąches, perdus dans le labyrinthe du soin, de l’enseignement et de la recherche d’une sortie.

La surge, qui nous emporte, finit par nous abandonner, nus et seuls au sol du sandur, tels des rocs erratiques dépouillés de leur armure blanche.

La surge, fuite en avant incontrÎlée devenue à présent incontrÎlable.

Suicide glaciaire.

 


 

A SUIVRE...

 

sur la Page de l'Ă©diteur: https://z4editions.fr/publication/la-garde-de-nuit-reparer-les-soignants/ 

 

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Couv Finale LGDN

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