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Le poeme de Lorenzaccio
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Le poeme de Lorenzaccio

Pré-Cheyenne (partition blanche) 📖🆕

 

 

 

 

Pré-cheyenne

 

 

(partition blanche)

 

  

Pré-cheyenne sous la neige

 

 

Laurent Thinès

 

 

 

 

 

© Tous droits réservés 2022 

 

 

 


 

 

« Quand tu te balades dans l‘arrière-pays, va où tu dois aller, et marche comme un héron ou une grue des sables. Il ne leur manque rien. Observe les tortues et les mésanges à tête noire. Les ours et les loups du voisinage ont trop de pouvoir pour qu’on puisse les contrôler (…) Pense à ton esprit comme à un lac. »

Parole d'un vieux peau-rouge ojibway

(dans J. Harrison, Une heure de jour en moins)

 

« C'est tellement difficile de regarder le Monde et le fond de son cœur, les deux au même instant. Entre temps, une vie a passé. »

Jim Harrison

 

 

 


 

- Note introductive -

 

Le Walam Olum (Partition rouge) serait la retranscription de rites, légendes et mythes du peuple Lenapes qui étaient traditionnellement transmis oralement 1,2. Il est constitué d’un ensemble de morceaux de bois gravés de pictogrammes rouges qui constitueraient la mémoire poétique de cette tribu. Les images inscrites sur ces écorces de bouleau évoquent des chants rituels destinés à être scandés, mimés, dansés. Le Walam Olum, poème mémoriel, raconte la création du monde par le Grand Manido (Être suprême), puis l’histoire des origines humaines et animales. Il porte aussi le récit historique de la migration à travers le continent nord-américain du peuple Lenapes ainsi que le recueil de sa mythologie et de ses rites « médicinaux ».

 

  1. The Lenapee and their legends: with the complete text and symbols of the Walam Olum, a new translation, and an inquiry into its authenticity – DG Brinton, CS Rafinesque, Philadelphia : D.G. Brinton, 1885
  2. Partition rouge (poèmes et chants des indiens d’Amérique du Nord) – J Roubaud, F Delay, Editions du Seuil, 1988

 

 


 © Tous droits réservés 2022 

Au bord d’un lit de rêves

 

Du promontoire de la chambre d’écho

un regard ombrageux regrimpé à l’embuscade de l’enfance

scrute l’horizon

 

Sur un plateau de sapin brillant comme le désert d’Arizona 

transpercé par un ciel brûlant

il grave une partition blanche

 

Celle d’une tribu d’animaux sauvages abattue au bord d’un lit de rêves

comme un peuple ancien 

vêtu de poils et de plumes

 

Celle d’une grande prairie bordée d’un petit canyon

où coule une rivière apache pure comme un diamant

à jamais souillée pour ses paillettes d’or

 

Celle d’indiens à peau rouge et de leurs chamans 

jetés à la fosse commune sous les tombereaux de cupidité 

d’Homme-blanc

 

Celle d’une lune jaune comme une chouette 

hululant à travers la plaine

accrochée aux cimes de la nuit

 

 

Comment interpréter les traces du passage de la vie

sur le miroir tremblant du pré

sans défier la mort

 

 


 

Un pétale dans la tornade

 

Une pensée, une couleur, une mélopée, une rumeur

ici un presque rien

peut soulever un pétale ou déclencher une tornade

 

L’herbe s’agite 

c’est un cougar prêt à bondir

 

Le front du ciel bleuit 

comme à la tête d’un pendu

 

L’horizon rougeoie 

au souvenir d’une flèche

 

Le nuage gonfle 

comme un torse avant la chute d’eau

 

Le sol et l’air tremblent 

sous les cavalcades du soleil

 

La brume s’envole

comme le chant de l’engoulevent

 

L’aube d’hiver blêmit 

pour chaque nouveau-né gelé

 

Les animaux se pourchassent 

comme la danse des saisons

 

La lune édentée éclaire 

le sourire du vieux chaman

 

Le faucon immobile plane 

comme une menace d’embuscade

 

L’orage tambourine

après les guerriers de pluie

 

Les chevaux piaffent 

comme pour un jour de grande bataille

 

 

Au fond du jardin, Pré-cheyenne

se déplace sur la Terre

comme une écaille verte

au dos d’une tortue bleue

 

 


 

Ici Là-bas

 

Guetteur solitaire du vagabondage de la vie 

semée sur Pré-cheyenne

Double-Œil-Perçant

Héron-plumitif

Petit-Esprit, Je suis

témoin de ce qui est passé - Ici

mémoire de ce qui s’est passé - Là-bas

 

-  J’ai dit  -

 

 


IMG_6362

 

Peaux rouges, plumes noires

 

Au contre-jour fumant d’un été 

qui poursuit sa rapine

quelque chose remue encore à l’Ouest

parmi les dernières herbes brûlées

 

Sous le soleil rasant

un dos voûté d’ardoises

tourne et vire cherchant à dissimuler son butin

 

Le large bec du desperado étreint jalousement sa prise

oscillant de gauche à droite 

la tête noire guette pour ne pas être repérée

 

Ombre errante

parmi les ombres du pré

elle déniche enfin une cache entre deux touffes jaunies

pour soustraire au partage de ses frères de misère

ce pauvre bout de pain blanc 

tout sec

 

Peaux rouges, plumes noires

Homme-blanc aura donc fini par tout corrompre

 

Petit-Esprit crache son brin de colère au vent mauvais

et d’une rotation de poignet rengaine

ses jumelles dans leur étui 

de skaï noir

 

Ciel sombre 

glissant au loin

comme un aigle d’obsidienne

 

 


 

A travers la plaine

 

Dans le silence du far-west

oreille posée sur la terre sèche

on entend venir

la maraude des fourmis et des campagnols

qui fait grincer ses mandibules

et ronge toutes les hosties de pain blanc

semées par la tribu ailée 

 

Petit-Esprit se souvient

comment Cheval-de-fer est venu

d’Est en Ouest

faire grincer ses mandibules

et ronger toutes leurs terres 

en semant ses cicatrices indélébiles

de rouille et de suie à travers la plaine

 

 


 

Rouge en plein soleil

 

Dans le signe infini cerclé de noir 

Double-Œil-perçant voit

en haut de sa branche 

le magnifique magnifié Petit-Faucon-Bleuté

aiguisant l’impatience blonde de ses serres

pour célébrer l’ouverture de la moisson des campagnols

 

Nus comme des vers 

dans les blés fraichement coupés

les rongeurs de tout poil

tentent d’échapper à la faucheuse à damier de flanelle

Cheyenne jusqu’au bout du bec

 

Encerclement hypnotique

embuscade suspendue

chute muette

attaque étourdissante

 

Viennent l’étreinte, la suffocation

l’apesanteur

le travail furtif d’un couteau

qui vrille la nuque

et fait brusquement couler la nuit rouge 

en plein soleil

 

Dans le champ du ciel se déploie

la chasse et la fuite perpétuelle

des martinets 

 


 

De l’Est, du Sud, de l’Ouest, du Nord

 

L’orbe du soleil à la lune rythme la vie

sur Pré-cheyenne

 

Grand-Esprit-de-Feu renaît chaque jour 

au creuset blanc horizontal de l’Est

où se forgent nos rêves

 

Il grimpe matin au bleu culmen du Sud

puis marque au fer rouge la plaine

et tout ce qu’elle a de chlorophylle et de sève

de peaux, de poils et de plumes

de pattes et de carapaces

de luisances et de transparences

d’âmes rampantes, ondulantes et volantes

 

A la fin du jour, Grand-Esprit-de-Feu fusionne à la colline 

dans le poudroiement doré de l’Ouest

cardinal de toutes les migrations

de tous les eldorados

de tous les massacres

 

A l’antipode de l’arche funèbre du Nord

Déesse-cendrée guérisseuse de nos nuits

se lève pour poser sa paume de fraîcheur

sur le front encore brûlant du pré

enfin assoupi

 

 


 

Enfant-de-L’eau

 

Dans la chaleur étouffante de l’été 

Pré-cheyenne a soif d’une autre blancheur

que celle de la brume solaire

 

Le pré a soif de la lactescence des nuages

 

Un soir viendra où le vieux chaman incantera la pluie

pour qu’elle transperce la plaine et coule dans la veine bleutée

du ruisseau famélique

Alors

Enfant-de-L’eau chantera

Enfant-de-L’eau chantera

Enfant-de-L’eau chantera

Enfant-de-L’eau chantera toute la nuit

 

Et le ruisseau retrouvera l’ardeur

des cascades Appalaches

Et le ruisseau retrouvera la splendeur

de grande Rivière-apache

 

 


 

Le Temps qui chasse

 

L’avachie somnole à l’ombre du ruisseau

son outre obscène gorgée de nectar 

étalée sur le sable brûlant

et qu’aucun veau ne viendra jamais quémander

 

Entre chaque battement de ses longs cils

des nuées de mouches noires viennent lécher

ses larmes de mousson mexicaine

 

Entre chaque claquement de son fouet 

le taon qui passe se plante dans sa chair 

pour sucer sa sève de soleil

 

Entre chaque tressaillement de ses rêves

des pies kiowas bavardent et picorent

leur maigre pitance sur son dos

 

Mais quel diable d’infini l’avachie rumine-t-elle à l’horizon tremblant du pré

tandis que le Temps qui chasse 

nous tétanise 

 

Aucun grand prédateur ne surgira pour la surprendre 

dans sa torpeur bovine

 

Apaisée l’asservie

qui consent à ne rien attendre d’autre 

que l’heure de la traite blanche

 

Intranquille Petit-Esprit

tapi dans le buisson du quotidien

qui guette sa traite de fin de mois et la retraite de fin de vie

 

 


 

La grande célébration

 

Une tornade de plumes 

au-dessus des totems 

de Pré-cheyenne

 

Parade de cris rauques 

 

Trois couples de buses 

font scintiller leurs écailles 

au lac bleu du ciel

 

Danse des épis de soleil 

 

Trois couples de buses 

labourent la plaine chaude et dorée

des dos de campagnols

 

 

La grande célébration peut commencer

sous le tipi des arbres

 


 

Dans l’écorce de la nuit

 

Blancheur des soleils couchés

Tiédeur bleutée des crépuscules

Éclipse citrine des rapaces

Heures de jais 

 

Les divinités ultrasonores 

règnent sans aucun partage sur Pré-cheyenne

du froufrou de leurs danses hypnotiques

 

Un soir, le visage pâle 

gravera dans l’écorce de la nuit

le guet-apens improbable d’une pie kiowa 

sur une pipistrelle

 

La sinusoïdale foudroyée

trois coups de tomahawk 

à son crâne si léger

 

et sa chair crue dévorée en ombres indiennes

au crochet d’une haute branche

 

 


 

De chair, de sang et de plumes

 

Tribu des crows

puissante 

 

Nuée noire

déluge de craillements

avalanche de noms d’oiseaux

s’abattant en piqué 

comme une mitraille infernale

sur l’aigle assassin mais patient

 

Dans un ultime élan, l’aile noire tente de s’arracher

à l’étreinte de Pré-cheyenne

 

Au-dessus d’elle

une fronde d’obsidienne tournoie 

effleurant à peine sa cible 

quand ces centaines de becs et d’ongles vengeurs

comme autant de lances et de flèches

pourraient plonger l’aigle ennemi dans une écume

de chair, de sang et de plumes

 

L’aigle meurtrier étoilé de gloire

se sublimera à l’horizontale du pré

pour finir d’achever sa becquetance noire

à l’auvent des frondaisons

 

Tribu des crows impuissante

condamnée à la pénombre

 

 


 

Tous les yeux dans leurs orbites

 

Angoisse caniculaire sur la plaine aride

Fournaise au faîte du ciel spiralé

Arbres froissés dans l’air vibrionnant 

 

L’étau de chaux vive du soleil 

roule, écrase et brûle tous les yeux dans leurs orbites

 

Les flèches des rayons trouent des pores dans la peau

 

Le cœur endurci par le gel dans la cage thoracique

résiste encore au supplice de la chaleur

 

Catapulté du ciel sans sommation

l’échiquier de plumes écarquillées de Petit-Faucon-bleuté

s’ébrouant dans la poussière

dynamitera l’ennui de ce mortel après-midi

 

Pré-cheyenne a des révoltes 

que les petits cœurs froids ne connaissent pas 

 

 


 

Les esprits errants

 

Profitant de la transhumance avortée de l’été

la sécheresse est revenue traquer les bêtes sauvages

Chaque nuit, elles prient Enfant-de-L’eau

comme chaque arbre pousse sans relâche ses racines

 

J’ai trop tardé à recouvrir l’abreuvoir

qui nous sert de bassin de nage

 

Un de ces matins tristes, je l’ai repêchée

gonflée comme une outre

d’épuisement

 

Jetée loin à la lisière des esprits errants

la boule hérissée de pestilence

achèvera sa route sous les crocs et les becs des charognards

 

Puis viendra la succion avide des insectes nécrophages

 

Placide-Ami-du-Soir

continuera ainsi quelque temps de hanter la brise

à nos nasaux délicats

 

 


  © Tous droits réservés 2022

 

Sur Pré-cheyenne

 

La vie se perd 

la mort est sacrée 

la chair se transforme 

 


 

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(photo Judith Lécina)

 


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 © Tous droits réservés 2022

 

(à suivre dans le recueil sorti chez Z4 éditions nov 2022)

 

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